Pour commencer, une petite mise au point est rarement superflue. Qu’est-ce que le taux d’usure et quelle influence son évolution a-t-elle sur l’état du marché ? « Ce mécanisme, qui existe depuis plusieurs décennies, est initialement prévu pour protéger le consommateur » introduit Pierre-Etienne Beuvelet, directeur du réseau de courtiers In&Fi Crédits. « Il permet aux banques d’avoir un cadre, le taux d’usure représentant le taux maximal au-dessus duquel elles ne peuvent pas consentir à un prêt ». Un prêt qui dépasse ce cadre est appelé crédit usuraire, décorrelé de la réalité du marché à un instant T. Jusqu’à présent, le taux d’usure était révisé trimestriellement, jusqu’à la décision récente de la Banque de France. Automatiquement, le taux d’usure restreint les capacités d’emprunt des ménages, de façon plus ou moins importante en fonction des taux moyens pratiqués par les établissements de crédits. « Lorsque vous êtes dans un contexte avec des taux qui baissent ou, à minima, qui stagnent, la courbe du taux d’usure suit celle des taux moyens accordés par les banques (en étant toujours au-dessus), avec une marge suffisamment importante entre les deux courbes pour éviter une contraction du marché » poursuit Pierre-Antoine Beuvelet. « Le vrai danger est lorsque la courbe du taux moyen remonte quasiment à la verticale et menace dangereusement de croiser celle du taux d’usure ». D’où la nécessité, selon l’intéressé, de réactualiser plus fréquemment ce taux d’usure pour l’adapter à une réalité du marché fluctuante. « Le rythme trimestriel du taux d’usure était devenu archaïque, inadapté au contexte actuel ». Parallèlement, le taux de refinancement bancaire, à savoir celui s’appliquant aux banques lorsque ces dernières empruntent sur les marchés financiers, peut augmenter d’un mois sur l’autre, ce qui se répercute sur les taux moyens. Un certain nombre de dossiers étaient alors systématiquement mis en attente afin d’être étudiés à la fin du trimestre, lorsque le taux d’usure était révisé. Une situation devenue intenable, qui a donc conduit à cette mensualisation décidée par la Banque de France.

La Banque de France alertée dès le mois de juillet

Selon le directeur du réseau In&Fi Crédits, tout est lié à cette inflation galopante que traverse actuellement notre pays : 5,2 % sur l’année 2022 selon l’Insee. Pratiquement trois fois plus que les 2 % recommandés. Dès lors, la Banque Centrale Européenne se voit contrainte de relever ses taux directeurs, ce qui endette davantage les banques et les contraint à augmenter les taux moyens. La seule chose qui n’augmente pas dans ce scénario inflationniste, ce sont les salaires et l’apport personnel des ménages. Logiquement, les capacités d’emprunt ne peuvent alors que baisser. Dès le mois de juillet 2022, les professionnels ont tenté d’alerter la Banque de France sur la nécessité de cette mensualisation du taux d’usure. Ils n’ont pas été entendus de suite. « Nous autres, professionnels au contact des particuliers, disposions des chiffres, étions aux premières loges pour constater le nombre de dossiers qui ne passaient plus » poursuit Pierre-Etienne Beuvelet. « Nous alertions sur le fait que nous étions entrés dans un mécanisme qui allait casser le marché du crédit ». En mai 2022, 26 milliards d’euros de nouveaux crédits étaient opérés chaque mois ; en janvier 2023, ce chiffre a dégringolé à 14,4 milliards d’euros… Une chute vertigineuse ! Entre 70 000 et 100 000 personnes ont vu leur dossier refusé en à peine dix mois et n’ont pu emprunter pour acheter un bien. Dans le lot, énormément de primo-accédants, qui retardent d’autant plus leur entrée sur le marché de la propriété. « Nous ne sommes malgré tout pas confrontés à une problématique de manque de prospects, les Français sont tout autant désireux d’acquérir un bien, ils restent un peuple de latins attachés à la pierre. Nous ne sommes pas des Anglo-saxons qui, culturellement, capitalisent davantage, investissent sur les marchés. Les Français épargnent dans le but de devenir propriétaires, y compris dans les périodes de crise ».

Une mensualisation pérenne ?

Les taux moyens ont augmenté un peu moins vite au cours des mois de janvier et février, ce qui a contribué à détendre l’espace existant entre le taux d’usure et les taux d’emprunt. Une petite éclaircie après un dernier trimestre 2022 catastrophique. « Le marché n’a pas recouvré sa fluidité de début 2022, il reste compliqué » fait valoir Pierre-Etienne Beuvelet. « Ce qui créé cette situation de blocage, c’est aussi la brutalité de la situation, ce côté soudain des augmentations conjuguées des taux moyens et de l’inflation ». Les chiffres ne devraient, quant à eux, pas baisser, à commencer par les taux moyens d’emprunt, qui pourraient atteindre les 4,5 % à la fin de l’année 2023 (moins de 3 % actuellement). Après l’été, l’inflation pourrait néanmoins avoir passé son pic et entamer une baisse, ce qui pourrait redynamiser partiellement le marché immobilier. Un conseil : les taux n’étant pas près de baisser, l’erreur serait, selon les conseils de Pierre-Etienne Beuvelet, d’attendre la seconde partie de l’année pour monter son dossier de financement et formuler une demande d’emprunt. Pour autant, quid du taux d’usure après le mois de juillet ? Sa mensualisation se poursuivra-t-elle passée cette date ? Impossible de s’avancer pour le moment, selon l’intéressé. Une chose est sûre, les professionnels ont enfin vu leur demande acceptée, ce qui devrait avoir des effets positifs tangibles, d’autant plus dans un marché immobilier de plus en plus tendu…

Taux d'usure : sa mensualisation va-t-elle décoincer le marché immobilier en 2023 ?